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Conditions de travail dans les banques

Publication : 13/10/2017

Pour une fois un peu de lecture « alternative » aux communications patronales auxquelles la Direction du CAAV vous habitue doucement dans ses « Avec vous Aujourd’hui », « Avec vous cette semaine », Avec vous blablabla …

Un Article issu de la revue « Alternatives Économiques »

Vos élus SUD

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« Merci de vous intéresser aux salariés du secteur bancaire. Pour une majorité de Français, ce sont des privilégiés. L’amalgame entre le patron-banquier et le salarié de base est devenu insupportable », déplore un conseiller clientèle de la Société générale. Sa situation, il la résume en deux chiffres : « trente-cinq ans de maison, 2 000 euros net sur treize mois et des conditions de travail devenues intenables. »

A la direction commerciale, qui couvre une vingtaine d’agences sur le Finistère et la moitié des Côtes d’Armor, la coupe est pleine. La moitié des 128 salariés, sondés par la CFDT au printemps, se sont lâchés, quasiment tous (92 %) constatant « une dégradation des conditions de travail ». Plus de sept sur dix jugent les effectifs insuffisants, les objectifs irréalisables et 98 % disent faire des heures supplémentaires…

« Entre les départs en retraite non remplacés et les arrêts maladie, il a manqué jusqu’à 8 % des effectifs ces derniers mois. La direction refuse d’embaucher, puisque des réductions d’effectifs sont prévues. En les anticipant, elle crée de la souffrance au travail », analyse Joël Le Quéau, délégué syndical CFDT, pas surpris que 66 % des répondants à ce questionnaire sur les conditions de travail se disent prêts à débrayer. Ce qui, ici, « serait une première depuis vingt ans ».

5 000 salariés en « stress élevé » à la Société générale

Le ras-le-bol des agents bretons n’est pas isolé. Selon une enquête interne réalisée fin 2016 par la Société générale, en déclinaison de son accord sur la qualité de vie au travail de 2015, que nous avons consultée et à laquelle ont répondu 22 874 salariés, 26 % d’entre eux sont en stress et 22 % – soit 5 000 personnes – dans un état de « stress élevé » qui rend malade. « Par son intensité ou sa chronicité, il va y avoir un impact sur la santé psychologique et physique », note le cabinet Greenworking, auteur de l’évaluation. Le nombre de salariés en souffrance est plus élevé encore dans le réseau commercial en restructuration depuis 2015 (20 % des agences devant fermer d’ici à 2020) : 26 % des répondants sont en stress et 25 % en « stress élevé ».

Et l’herbe n’est pas plus verte dans d’autres établissements du secteur bancaire engagé dans une profonde mutation numérique. Longtemps recruteur net, il perd chaque année, depuis 2011, quelques milliers d’emplois, sans casse sociale pour l’instant. Il y a six ans, le secteur dans son ensemble comptait 381 000 salariés. Ils n’étaient plus que 370 300 en 2016. Il s’agit, à bas bruit, de l’un des plus gros « plans sociaux » du pays. Les employeurs recourent aux plans de départs volontaires ou profitent de la pyramide des âges vieillissante en ne remplaçant pas tous les départs en retraite. Après avoir taillé dans les effectifs de leur activité de banque d’investissement, à la suite de la crise financière de 2008, tous les établissements réduisent la voilure dans la banque de détail, qui représente près de la moitié des emplois.

Plusieurs causes sont à l’origine de ces coupes claires : la faiblesse des taux d’intérêt qui assèchent les marges – sans qu’elles puissent être restaurées par une augmentation des commissions désormais très encadrées – amène à réduire les coûts ; le transfert de tâches vers les clients, de plus en plus nombreux à préférer les services bancaires sur téléphone, tablette, ordinateur que se déplacer en agence ; la concurrence effrénée des fintechs1 et des start-up qui ne développent leurs services que sur mobile ; et la percée des banques digitales qui alimentent la guerre commerciale…. Tout pousse les banques traditionnelles à réinventer leur modèle, leur organisation, leurs métiers, leurs services, à marche forcée. Dernière annonce en date, le Crédit agricole veut lancer une offre « low cost » sur mobile, moins chère que ses services traditionnels.
Un salarié sur trois en « hyper-stress » chez BNP Paribas

Et les salariés courbent le dos. L’étude interne de BNP Paribas réalisée par son observatoire médical du stress, de l’anxiété et de la dépression (Omsad), auprès de 8 103 collaborateurs est encore plus inquiétante que celle de sa concurrente, la Société générale. Présentée au printemps, elle a révélé que le nombre de salariés en « sur-stress » – le « niveau à partir duquel le stress est un facteur de risque pour la santé » – a bondi de 27,6 % à 32,6 %, entre 2012-2013 et 2014-2015. Du jamais-vu. La poussée est plus forte dans le réseau commercial : presque d’un conseiller en agence sur deux y est en « sur-stress »2.

« Cette enquête n’est menée que sur deux agglomérations, mais elle reflète la réalité de tous les salariés », commente un cadre, qui craint une nouvelle dégradation de la situation. Le nouveau plan stratégique 2017-2020, qui vise 2,7 milliards d’économies annuelles à partir de 2020, renforce la digitalisation de toutes ses lignes de métiers, programme la fermeture de 10 % de ses agences, avec une réduction d’effectifs de 2 % à 4 % par an, supprime même une strate hiérarchique…

Alerte sur la santé des salariés chez LCL

Chez LCL, l’ancien Crédit lyonnais racheté en 2003 par le Crédit agricole, qui a conduit début 2015 un important plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) portant sur 1 658 postes dans les agences et les back-offices, mais sans licenciement, en jouant sur le non-remplacement de tous les départs en retraite, le malaise est toujours prégnant. En mars dernier, Force ouvrière a lancé une « alerte sur la santé des salariés », inquiétée par de nombreux indicateurs confirmant les témoignages de « salariés en détresse et souffrance ».

Le projet de bilan social 2016 a révélé un taux de démissions multiplié par 2 en deux ans, une hausse des départs en cours de période d’essai de 160 % en deux ans. Selon l’indice d’engagement et de recommandation des collaborateurs 2016, un baromètre interne que nous avons consulté, seuls 44 % du personnel recommanderait LCL comme bon employeur. 45 % estiment ne pas déposer des outils et équipements nécessaires pour travailler au quotidien…

Quant à l’évaluation sur le stress, menée à la demande du comité d’entreprise par le cabinet Syndex, d’après le modèle de Karazek3, elle dénombre que 34 % des 2 274 salariés ayant répondu sont en « job strain ». Un état associé à un risque plus élevé de troubles cardio-vasculaires, musculo-squelettiques et dépressifs. « Tous les salariés, du front, back ou middle office et des fonctions supports subissent le manque criant d’effectifs », commente Philippe Kernivinen, délégué syndical FO de cette entreprise, marquée fin 2016 par un suicide et une tentative de suicide sur le lieu de travail. « Cela ne signifie pas qu’ils soient directement liés au travail », met en garde un porte-parole de LCL.

La crainte pour l’emploi, nouveau facteur de stress

Autant de chiffres qui donnent du corps aux alertes répétées des syndicats sur la dégradation continue des conditions de travail. Même si on savait les professions bancaires particulièrement exposées aux situations de tension au travail, comme l’a montré la dernière enquête Sumer. « Nous ne serons pas les Don Quichotte de la digitalisation. Mais les employeurs doivent garantir des avancées sur les conditions de travail, répondre aux besoins d’accompagnement en mobilité géographique ou fonctionnelle », martèle Régis Dos Santos, président du Syndicat national de la banque et du crédit (SNB/CFE-CGC), premier du secteur, qui réclame de longue date un plan Marshall de la formation pour assurer l’employabilité des salariés, mais aussi une négociation de branche sur la qualité de vie au travail (QVT).

Signe d’une évolution, l’Association française des banques (AFB), le syndicat patronal, jusque-là hostile, a accepté le principe de cette dernière mais… sans déterminer de calendrier. Cela n’a pas empêché les employeurs de s’être mis en mouvement. Avec son accord sur la qualité de vie au travail de 2015, signé par quatre syndicats sur cinq (hors CGT), la Société générale, qui était précurseur sur le sujet dès 2006, invite « à repenser [les] modes de fonctionnement et à encourager la généralisation de bonnes pratiques ».

Elle s’est dotée d’un observatoire paritaire et a lancé un programme « life at work », d’ailleurs plébiscité, rassemblant une série de mesures, d’un système d’optimisation de la gestion des e-mails au développement du télétravail. « Nous annoncerons en novembre des plans d’action remontés du terrain », précise Marie-Langlade Demoyen, directrice de la responsabilité sociale au travail à la Société générale, en réponse à nos questions. « Les sujets de l’organisation du travail, des effectifs, de la charge de travail, de l’autonomie, de la responsabilité, des rémunérations doivent être posés en profondeur », rétorque un syndicaliste.

BNP Paribas s’est également doté en 2015 d’un accord sur la prévention et l’évaluation du stress au travail, signé par les seules CFDT et FO. Depuis la présentation de l’enquête Omsad, elle a engagé des groupes paritaires de travail. « Il n’est plus temps d’être dans la prévention ou la mesure du niveau de stress, il faut agir », commente un syndicaliste, qui veut faire évoluer l’accord sur le stress au travail. Chez LCL, une table ronde sur « l’exercice du métier » s’est tenue à l’été.

Reste que les salariés du secteur sont sérieusement ébranlés, à croire la troisième étude sur les risques psychosociaux du SNB/CFE-CGC, auprès de 6 700 salariés, révélée avant l’été : 37 % des répondants jugent leur sécurité de l’emploi menacée, tandis que 28 % s’estiment incapables de faire le même travail jusqu’à la retraite. Pointés : la charge de travail « excessive » pour 76 % et, pour 69 %, le manque de temps pour faire correctement le travail dans un métier ultra contraint par les process informatisés et standardisés. Et il y a l’absence de marges de manœuvre : 60 % estiment leur rythme contraint par des contraintes techniques.
20 rendez-vous par semaine

En première ligne des réductions d’effectifs, des changements d’organisation, des nouveaux comportements de clients, plus exigeants et incivils, nombre de conseillers clientèle témoignent d’un quotidien difficile. L’accueil partagé en agence, vrai terrain d’expérimentation (la Société générale le déploie ; LCL et BNP Paribas en reviennent), est particulièrement dans le collimateur. Parce qu’il impose la polyvalence à tous, parfois jusqu’au directeur d’agence, et donc fractionne, intensifie le travail de chacun.

« On n’est pas des machines. Une demi-journée par semaine passée à l’accueil, c’est autant que je ne peux consacrer à mon portefeuille-clients, alors que mes objectifs commerciaux restent inchangés. Je perds le rythme. Et je ne parle pas du volume d’e-mails que je n’ai pu traiter », commente Alexandra, conseillère clientèle particuliers chez LCL, dix-sept ans de maison, qui n’apprécie pas de perdre la maîtrise de son agenda.

Il est déjà comprimé, quand il faut assurer 15 à 20 rendez-vous client par semaine, sans compter les suivis de dossier, le temps passé pour la conformité, les sollicitations grandissantes par mail ou téléphone. Car, dans leur souci de mettre le « focus sur le client », les banques déverrouillent les accès. Beaucoup ont rétabli la ligne directe vers le conseiller clientèle et intégré le « taux de décroché » téléphonique dans les critères d’évaluation de la qualité de l’accueil. BNP Paribas permet même, depuis la rentrée, à ses clients de prendre rendez-vous directement sur l’agenda du conseiller via « mabanque » et ce, dans un délai de deux heures et jusqu’à quarante-deux jours.

Et il y a le pilotage de la performance qui, dans toutes les banques, commerciales ou mutualistes, est de plus en plus serré en cette période de recherches d’économies et donc de productivité. « Des objectifs annuels, qui sont cadencés semaine par semaine, par nombre de produits et capitaux à atteindre, pour qu’on reste dans le rythme. Sans compter les opérations spéciales. On est marqué à la culotte », commente Aline, autre conseillère LCL, 36 ans.

Les « relevés de compteurs » réguliers du n + 1 et les classements individuels sur les reporting de vente ajoutent à la pression. « La pression commerciale est tellement permanente qu’elle est assimilable à du harcèlement », estime Raphaël, conseiller clientèle particulier à la Banque populaire, qui a droit, chaque semaine, à un entretien de vingt à trente minutes « pour débriefer les ventes » sur ses 20 rendez-vous clientèle hebdomadaires avec le directeur de son agence, « et parfois le n + 2 ». En sus du brief de quinze minutes tous les matins, pour fixer les priorités. Une culture du chiffre, qui entre en conflit avec la dimension « conseil » du métier, sur un produit – l’argent – loin d’être un bien comme les autres. Quand il faut placer, par exemple, coûte que coûte, des produits d’assurance jugés rémunérateurs.

Autant dire qu’au moindre grain de sable, dans ce contexte d’effectifs tendus, c’est la catastrophe. « Un mardi, j’ai découvert 43 mails de clients arrivés pendant le week-end. Ma semaine était foutue », souffle un conseiller Société générale. « Certains salariés en sont venus à souhaiter la fermeture des petites agences, auxquelles il fallait toujours aller prêter main forte », déplore Joël Le Quéau, délégué syndical CFDT à la direction de l’exploitation commerciale de Brest de la Société générale.

Pas de débat sur la qualité de service

« Le secteur n’a pas trouvé son modèle », explique Ludovic Ponge, consultant ergonome spécialiste du secteur bancaire au cabinet Secafi. « Les banques mettent en place à marche forcée de nouvelles organisations qui sursollicitent les conseillers, sans avoir appréhendé la réalité de leur charge de travail qui s’est modifiée avec le numérique. Il n’y a pas moins de flux de clients en agence ; ceux-ci se sont transformés. Le client passe désormais par les mails et les appels téléphoniques. Mais aucun établissement n’a les outils de gestion pour les mesurer », explique l’ergonome.

Pour lui, les changements d’organisation se font « sans réel débat sur la qualité de service ». Ce qui laisse les conseillers désemparés. « Certaines directions acceptent même que les conseillers décrochent le téléphone, jusqu’à deux fois, pendant un rendez-vous client ». Ou comment faire tout, en même temps, pour répondre aux objectifs de satisfaction-client, au détriment de la qualité de service.

L’inconnue Watson

Il faut dire que le secteur, pris dans une course de vitesse, a déjà les yeux tournés vers ce qui pourrait être une rupture technologique. Il s’appelle Watson, équipe déjà 20 000 chargés de clientèle du Crédit mutuel pour les aider à répondre aux e-mails et aux questions des clients. Mais le logiciel d’intelligence artificielle d’IBM sera aussi testé, comme conseiller virtuel, par la très attendue Orange Bank, dont le lancement, déjà reporté deux fois, devrait intervenir le 2 novembre. Watson devrait y aider les clients à se familiariser avec son offre, en répondant directement à leurs questions.

Sera-t-il un assistant épaulant les conseillers ou va-t-il se substituer aux forces commerciales des grandes banques ? Si c’est le cas, on doit s’y préparer pour trouver des solutions de reconversion », commente Sébastien Busiris, responsable de la fédération FO-Banques.

On en saura plus début décembre, quand sera rendue publique l’étude commanditée par l’AFB au cabinet Athling, pour évaluer l’impact des technologies cognitives dans l’univers bancaire. Elle doit notamment dresser un état des lieux des pratiques dans les établissements, testant déjà des outils d’intelligence artificielle. Sûr qu’elle sera regardée de près par les conseillers clientèle, qui dénoncent des conditions de travail devenues intenables mais qui sont tout autant tenaillés par la nouvelle crainte de perdre leur emploi.

1/Entreprises qui développent des services financiers en ligne.
2/Le « sur-stress », mentionné dans l’enquête BNP Paribas, est une notion utilisée par l’Institut français d’action sur le stress (Ifas), auteur du questionnaire proposé aux salariés, pour définir le niveau à partir duquel il devient un facteur de risque, notamment pour les troubles anxio-dépressifs. Il correspond à un score supérieur à 27 sur « l’échelle de stress perçu » de Cohen, utilisé comme outil méthodologique. La Société générale, qui n’a pas travaillé avec l’Ifas pour son enquête, utilise elle le terme « stress élevé », mais il détermine le même niveau de dangerosité.
3/Robert Karazek, sociologue et psychologue américain, a conçu un modèle de référence dans l’évaluation des niveaux de stress

SOURCE ALTERNATIVES ECONOMIQUES

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